- Jean Aubin
Après l'été brûlant...
Pendant deux mois, je n’ai pas réussi à publier quoi que ce soit sur ce site. Pendant tout cet été brûlant, j’ai été incapable de mettre de l’ordre dans le tumulte de mes réflexions et de mes émotions. Et d’ailleurs, sur le climat, que dire qui n’ait pas déjà été dit, répété, ressassé… ?
Le dérèglement climatique n’est pas une découverte pour moi ; c’est vers 1995 que j’ai lu un premier livre sur le sujet, et depuis je me suis beaucoup documenté, j’en ai longuement parlé dans mes livres et mes conférences. Tout ce que j’apprenais sur la question confirmait qu’il s’agit là d’un danger mortel pour l’humanité. Pour préoccupants qu’ils étaient, les effets locaux du dérèglement climatique restaient toutefois assez bénins : changements de pluviométrie, recul des périodes de gel, avancée des dates de moisson… Mais c’en est fini. La succession d’épisodes de canicule, mon jardin grillé par la sécheresse comme les champs alentour, la forêt en feu à deux kilomètres de chez moi, de même que la forêt de Brocéliande un peu plus loin: le dérèglement climatique vient cette fois me toucher au plus près. Un phénomène qui voici un quart de siècle restait inconnu pour la plupart des gens, et assez théorique pour les autres, nous a rattrapés.
Devant les prairies en paillasson, devant les champs grillés, devant les forêts en feu, je ne sais ce que peut ressentir un citadin éloigné des enjeux agricoles. Mais pour moi, fils d’agriculteur, ancien agriculteur moi-même, et vivant encore au milieu des champs, j’ai l’impression en cet été 2022 de pénétrer dans le concret de la catastrophe en marche. Et parmi les multiples aspects de cette catastrophe, je vois déjà poindre en particulier de sérieuses difficultés pour l’alimentation mondiale.
Ce n’est pourtant qu’un début. On sait que les bouleversements qui nous atteignent sont le résultat d’une élévation de température de seulement un degré en un siècle et demi. On sait qu’ils ne constituent qu’un avant-goût de ce qui se prépare, car on n’échappera pas à un degré supplémentaire dans les toutes prochaines décennies (pour s’arrêter à un degré et demi, il faudrait cesser immédiatement de brûler le moindre baril de pétrole, le moindre mètre cube de gaz, le moindre morceau de charbon). On sait même que la trajectoire actuelle conduit, sauf décisions et actions très énergiques, à un réchauffement de trois à quatre degrés à la fin du siècle. Au double à la fin du siècle suivant.
Et voilà, je radote ! Je ne fais que répéter ce qui est partout dans les médias. La seule nouveauté, c’est qu’aujourd'hui j’ose dire que je suis terrifié. Pas pour moi (je suis en principe bien engagé dans le dernier quart de ma vie) mais pour la génération de mes enfants et celle de mes petits-enfants. Terrifié ? Comment puis-je dire une chose pareille ? C’est vraiment trop anxiogène ! Il faut positiver... Eh bien non, justement. Ce n’est pas l’annonce de la gravité de la situation qui est anxiogène, c'est la situation elle-même. On n’a que trop positivé. On ne s’est que trop forcé à regarder comme à moitié plein un verre qui ne contient plus que quelques misérables gouttes (il reste si peu d’années pour inverser la tendance et rester dans les fameux deux degrés). Ne voulant pas affronter les rigueurs d’une vraie solution, on a fermé les yeux, on n’a fait que remettre au lendemain, comme si une solution allait advenir par miracle. On s’est rassuré : il y a des avancées… une prise de conscience… Prise de conscience de l’existence du problème, oui. De sa gravité, peut-être. Du fait que la solution passe par l’acceptation d’une remise en cause globale de notre mode de vie, de notre culture, de notre imaginaire, non, sûrement pas. Si cette fameuse prise de conscience était réelle, la préservation du climat serait depuis longtemps la priorité absolue, non seulement en paroles, mais en actes. On n’en serait pas à constater que la courbe des émissions de gaz carbonique, résultant de la consommation d’énergies fossiles, continue à grimper. Que le quart de ces émissions a été produit dans les 13 dernières années, la moitié dans le 29 dernières années.

La courbe est celle des émissions annuelles de CO2. La surface colorée représente le cumul de ces émissions de 1860 à 2019, et ce cumul a été divisé en quatre parts égales (Source : elucid.media)
Alors, tout va très bien, Madame la Marquise ?… Non, ce qu’il faut, ce n’est pas positiver, mais se mobiliser. Est-ce le cas ? Face aux méfaits constatés du dérèglement climatique en cet été brûlant, quelles sont les réactions, dans les médias, dans les pouvoirs publics, dans la population ? D’abord une sorte de sidération, semble-t-il, comme si tout cela était une parfaite surprise. Ensuite, un mot d’ordre : s’adapter. Faciliter l’accès des pompiers aux massifs forestiers, répertorier les réserves d’eau utilisables en cas d’incendie… Isoler les bâtiments contre la canicule, végétaliser les toitures, peindre en blanc le macadam pour qu’il reflète la chaleur au lieu de l’absorber. Installer la clim quand ce n’est pas déjà fait. Chercher de nouvelles ressources en eau. Promouvoir des cultures moins sensibles à la sécheresse… Bien sûr, il faut s’adapter, et nombre des mesures proposées sont nécessaires, même si certaines sont de l’ordre du gadget, et d’autres de l’ordre du cercle vicieux (généraliser la clim, dessaler l’eau de mer, c’est consommer encore davantage d’énergie, rejeter davantage de CO2, donc perturber un peu plus le climat).
Seulement, le souci d’adaptation ne doit pas occulter la nécessité de s’attaquer à l’origine du mal, le dérèglement climatique lui-même. Or en ce domaine, on n’entend toujours rien qui soit à la hauteur du problème, d’autant plus que la panique face à la crise de l’approvisionnement en énergie fait un fois de plus passer au second plan la question du climat. Énergie et climat, ce sont deux problèmes liés, mais qui peuvent trop facilement être traités en opposition (chercher par exemple à résoudre la pénurie d’énergie en recourant au charbon ou au gaz de schiste, c'est la pire des solutions pour le climat).
« Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs… ». Vingt ans après de fameux discours de Jacques Chirac, cet été brûlant oblige à tourner le regard vers la maison en feu. Il est temps de penser sérieusement à éteindre l’incendie…
Nous verrons cela dans le prochain article, que j’essaierai de publier sans tarder.