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  • Jean Aubin

Il faut écouter Jancovici (même si…)

Dernière mise à jour : 25 févr.

Si on n’est pas sûr d’avoir tout compris sur l’énergie et le climat, il y a un excellent moyen de préciser tout cela : écouter et lire Jancovici. Oui, même si on est allergique à une partie de ce qu’il dit, ou à sa manière de le dire.


Quelques mots de présentation. Jean-Marc Jancovici est un polytechnicien, ingénieur énergéticien, qui fait un gros travail de sensibilisation et de vulgarisation sur les thèmes de l'énergie et du climat.


Il est président et cofondateur du think tank The Shift Project. On trouve sur youtube une quantité de conférences et d’interviews de lui. Et son site constitue une véritable encyclopédie de l’énergie et du climat. Il a publié de nombreux livres.


Pourquoi faut-il l’écouter et le lire ?


Avant de noter ce qui peut rebuter ou agacer chez Jancovici, il faut d’abord reconnaitre qu’il n’a pas son pareil pour expliquer clairement les choses, dans son domaine de compétence. On peut distinguer deux volets :

• Les explications scientifiques et techniques (comment se sont formés le charbon, le gaz, le pétrole ? quelles sont leurs qualités ? comment leur usage dérègle le climat ? les EnR, qu'est-ce que c’est ? l’hydrogène, est-ce une source d’énergie ?…). Toutes choses assez incontestables.

• Les conclusions qu’il en tire, ses convictions, ses opinions. Et c’est bien là ce qui fait débat. On en parlera plus loin. Mais restons sur le premier volet.


Il sait aller à l’essentiel sans nous perdre dans les détails, qualité précieuse qui évite de s’embourber dans le simplisme, le flou, l’à-peu-près et les idées reçues, lorsqu’on aborde les problèmes écologiques et leurs solutions. Car l’écologie est faite des relations complexes entre des tas de faits : tout se tient, tout a des conséquences sur tout, et il est nécessaire de se faire une vue d’ensemble. Regarder par le gros bout de la lorgnette, se focaliser sur deux ou trois arbres qui nous cachent la forêt des problèmes ou celle des solutions, ça peut amener à des absurdités : revendications incohérentes pour un militant écolo ; décisions regrettables pour un décideur politique, tenté de sauter sur la première occasion de montrer, passage obligé désormais, qu’il est plus ardemment converti au vert que le concurrent.


C’est ainsi que Jancovici insiste beaucoup sur l’attention aux ordres de grandeurs. Qu’on dise 10 alors qu’il s’agit en réalité de 8,7 ou de 11,5, ce n’est pas très grave. Mais qu’on se focalise sur un phénomène qui compte pour 10 en négligeant totalement un autre qui compte pour 300 ou pour 2000, cela conduit à errer sur de fausses pistes. Voici deux exemples (venant de moi) : il est légitime de s’inquiéter des oiseaux tués par les éoliennes ; mais on se trompe de problème si on ignore que les chats domestiques en tuent au moins mille fois plus. Récupérer l’huile de friture usagée pour remplacer le gazole, c’est une fort bonne idée, mais on ne peut y voir LA solution majeure dans la recherche de carburants écologiques… ou bien alors, il faudra manger beaucoup de frites.


Avant de se lancer tête baissée sur une solution technique miracle, on doit aussi considérer la chaine de conséquences. Voici une quinzaine d’année, les « biocarburants » ont suscité l’enthousiasme : on avait trouvé la recette du carburant vert, renouvelable, non polluant. Sauf que pour produire à partir de betterave, de maïs ou de tournesol l’équivalent d’un litre de pétrole, il faut en utiliser à peu près autant pour les machines et les engrais nécessaires à ces cultures, puis à leur transformation en carburants. La surface agricole française serait donc très loin de suffire pour faire rouler voitures et camions (ordre de grandeur, là encore…) Et d’ailleurs, que mangerait-on ? Nourrir les hommes ou remplir les réservoirs il faut choisir. Sauf que la déforestation pour ces agrocarburants… Sauf que…


L’enthousiasme ayant déserté les agrocarburants, il se reporte maintenant sur l’électricité et bien sûr, pour demain, sur l’hydrogène. Sauf que ce ne sont pas là des sources d’énergie : il faut les produire. A partir de quoi, avec quel rendement, avec quels matériaux, avec quel bilan écologique final… il manque des tas de réponses avant d’imaginer un monde avec des milliards de voitures électriques et des centaines de milliers d’Airbus à hydrogène.


C’est avec ce genre de remarques que Jancovici oblige à garder les pieds sur terre. Ce n’est pas toujours agréable à entendre, ça douche les illusions, mais pour construire l’avenir, c'est salutaire.


Il faut l’écouter, MÊME SI on n’aime pas son style. Son côté péremptoire, « Monsieur-je-sais-tout », « veni-vidi-vici »… Son côté mordant, son ironie à deux balles. Personnellement, ça m’agaçait souvent, mais je me suis habitué, et ce qu’il nous apprend vaut en général la peine de surmonter l’agacement. Et ses défauts portent aussi leurs qualités : étant sans tabou, il a un talent provocateur qui force à réfléchir, tant qu’on supporte.


Il faut l’écouter, MÊME SI on a le droit de ne pas être d’accord avec tout ce qu’il affirme. Car à côté des explications qu’il donne très clairement, il faut distinguer ses convictions, ses conclusions, les choix qu’il en tire. Lorsqu’il dit qu’il faut absolument sortir des énergies fossiles, pour des raisons climatiques (de toutes manières, elles vont vers l’épuisement), il est aujourd'hui assez consensuel. Claude Allègre a perdu toute crédibilité. Lorsqu'il dit que ce sera fort difficile, tant le pétrole, le gaz et le charbon sont au centre de la société, tant ils sont puissants et commodes à utiliser, à stocker, à transporter, et si bon marché (eh oui !), ça peut refroidir les enthousiasmes, mais il n’est pas le seul à affirmer cela. Où ça se gâte, aux yeux de certains, c'est sur le comment. Deux sujets en particulier donnent des boutons à nombre d’écolos :


Sur les énergies renouvelables, dit-il, il ne faut pas se raconter d’histoires : les EnR ne seront jamais à la hauteur de l’abondance (encore actuelle) des énergies fossiles et de leur commodité. Il faut donc se faire à l’idée de disposer demain de moins d’énergie, beaucoup moins, ce qui conduit fatalement à des changements considérables de notre mode de vie, et probablement à des tensions dans tous les domaines, économiques, sociaux, culturels, politiques... Là, rien ne m’étonne, rien ne me choque, c’est ma conviction de "décroissant" depuis fort longtemps. De nombreux écolos en revanche sont convaincus que les EnR pourront remplacer sans trop de difficultés les fossiles et le nucléaire, et considèrent comme défaitiste l’affirmation du contraire. Dans ce débat de convictions, de croyance, l’avenir dira qui a raison…

J’adhère donc en partie à ce que dit Jancovici. En partie seulement. Et le fait qu’il soit un pro, et moi un amateur, ne m’interdit pas de dire ici mes désaccords. Lorsqu'il déclare que les énergies renouvelables, c’est surtout le bois et l’hydroélectricité, il a raison pour aujourd'hui, mais ça change, et vite. Lorsqu'il affirme que c‘est un retour en arrière de deux cents ans, avant le charbon et le pétrole, j’ai du mal à le suivre. Les avancées technologiques sont en effet telles que les éoliennes et turbines hydroélectriques actuelles n’ont pas grand-chose de commun avec les antiques moulins, pas plus que les catamarans de course avec les frégates de Lapérouse. Et des technologies totalement neuves sont désormais opérationnelles, comme le photovoltaïque.

De toutes manières, s’il est vrai qu’en sortant des énergies fossiles, nous entrons dans une ère d’énergie rare, les EnR seront très précieuses : avec ou sans nucléaire, avec certainement beaucoup de sobriété, elles seront l’ossature du système énergétique. C’est pourquoi je ne vois rien de mieux que de les développer autant que faire se peut, en tenant compte bien sûr des contraintes de ce développement (énergie grise mise en jeu, matières premières nécessaires, nuisances, coût…). Il est vrai que l’intermittence de production du solaire et de l’éolien pose problème, que le stockage par batteries ou par hydrogène souffre de gros handicaps (rendements faibles du cycle stockage-déstockage, limites des réserves de lithium,…). Mais quoi de mieux ? Et il est permis d’envisager des avancées pour se libérer du lithium comme on a dépassé les batteries au plomb : on maitrise le stockage de l’électricité par pompage-turbinage, certes sur des quantités modestes pour le moment ; des recherches sont menées sur le stockage courte durée, par volant d’inertie, pour lisser la production d’énergie photovoltaïque… Rien de spectaculaire encore mais, sans croire au Père Noël énergétique, je parierais sur de telles avancées beaucoup plus volontiers que sur la maitrise de la fusion nucléaire, des surgénérateurs, voire des centrales au thorium.


Plus grave, beaucoup plus grave aux yeux de certains, l’affirmation pronucléaire, qui rend Jancovici totalement infréquentable pour nombre d’écolos. On sort alors de la controverse pour entrer dans la détestation et l’anathème, genre "vendu au lobby du nucléaire". Cela me parait injuste : il a le droit d’avoir son opinion sur ce sujet, même si celle-ci déplait. A-t-il raison lorsqu'il affirme que les problèmes du nucléaire sont de même ampleur que ceux de l’industrie chimique ou minière ? Tchernobyl et Fukushima, ça vaudrait Seveso et Bhopal ? La question mérite d’être posée, sans tabou. Mais l’ampleur de la tragédie de Bhopal ne justifie pas de minimiser celles de Tchernobyl et Fukushima : quelques morts… Sur l’avenir, ça se discute encore plus. Mais surtout, le choix de Jancovici me semble incohérent avec ce qu’il affirme par ailleurs. Je soulignerai deux points d’incohérence :


Ne pas se tromper d’ordre de grandeur quand on regarde les problèmes et les solutions. "Profiter" du nucléaire là où il existe, comme en France, pour accompagner la sortie des énergies fossiles, c'est une chose. Mais miser sur une relance mondiale du nucléaire, comme contribution notable à la lutte contre le dérèglement climatique, c’est une idée étonnante venant de lui, car l’ordre de grandeur n’est vraiment pas le bon. Cette contribution ne pourra en effet rester que négligeable au niveau mondial, pour des raisons que j’explique sur ce site dans mon article "Nucléaire ou effet de serre" : trop long à mettre en place, trop coûteux, trop peu d’uranium disponible…


Risques. Dans une interview récente, La chute de Superman (fort intéressante d'ailleurs), il affirme : "Si on n’a pas de bonne visibilité sur un risque, c’est que le risque est important". Eh bien, le moins qu’on puisse dire du risque nucléaire, c'est qu’il est mal mesuré. Je vois donc mal sa cohérence lorsqu'il encourage à remonter dans un avion dont on ne sait si le train d’atterrissage fonctionne… Il devrait plutôt encourager à fuir à toutes jambes.


Résumons : un vrai talent pour expliquer clairement les choses. Un culot certain pour mettre à mal les consensus mous, les yaka et les illusions. Et des convictions affirmées, qu’on peut partager ou non. Ça vaut le détour.


Mise à jour (février 2023): je recommande parmi toutes ses interviews et conférences la vidéo suivante : "Les ressources s’épuisent, la planète surchauffe : adieu la mondialisation!" C'est toujours très clair et je trouve ses propos sur les EnR et le nucléaire nettement plus équilibrés que dans sa BD "Le Monde sans fin" (voir ici mon avis sur cette BD) : il explique comme toujours pourquoi les EnR ne constituent pas la solution miracle qui permettra de fournir demain autant d’énergie que les fossiles aujourd'hui, mais aussi pourquoi le nucléaire actuel est soumis aux mêmes genres de limites. Ah, bien sûr, il ne peut s’empêcher de rêver au surgénérateur comme solution ultime… après avoir annoncé avec raison une contraction générale de l’économie, qui met cette solution hors de portée…




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