- Jean Aubin
Le Corrigé du Monde sans Fin
Le mois dernier, février 2023, j’ai mis en ligne mes réactions à la lecture du Monde sans Fin, la fameuse BD de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain : un hommage doublé de très sérieuses réserves.
J’ai limité mon texte au format que je m’impose sur ce site, deux ou trois pages. Mais je viens de découvrir en ligne une autre lecture critique, un "Corrigé du Monde sans fin" écrit par Ghislain Dubois et illustré par Nicolas Caruso dans un format plus étoffé que le mien (25 pages). N’étant pas atteint de jalousie d’auteur, je vous la conseille chaudement.
On y retrouve les arguments que j’oppose à la solution tout-nucléaire de Jancovici. Même en écartant les problèmes spécifiques au nucléaire (sécurité, déchets, …), la question des délais, celle des coûts, les limites de l’uranium disponible, tout cela fait que la relance massive du nucléaire n’est en aucun cas une solution à la hauteur des enjeux climatiques. Et les rêves sur le nucléaire de quatrième génération n’y changent rien. Pour ce qui est du nucléaire existant, c'est un autre débat, que la comparaison sans tabous des choix opposés de la France et de l’Allemagne doit contribuer à nourrir.
Sur les potentialités des renouvelables, de bons éléments de clarification également. Cependant (car il faut bien un cependant !), je trouve que ce point est présenté de manière bigrement optimiste. Les limites des renouvelables, tellement exagérées par Jancovici, sont au contraire largement minimisées dans ce "corrigé". Photovoltaïque, éolien, stockage de l’énergie, cela demande en effet des quantités de matières premières (béton, acier, cuivre, lithium, et tant d’autres…). Et pour obtenir tout cela, à supposer que les réserves disponibles soient suffisantes, pour aller ensuite jusqu'à la mise en service, il faut de l’énergie !
Pour le moment, cette énergie provient encore massivement des fossiles, mais lorsqu'on aura vraiment dépassé le pic du pétrole, ou lorsqu’on aura vraiment décidé pour raisons climatiques de se passer des fossiles, il faudra mettre en place les EnR à partir des seules EnR. Pas évident. Sur cette difficulté trop souvent passée sous silence, j’avais répercuté un article à méditer : "Le système pétrolier s’effondre rapidement."
Des confusions techniques aussi dans ce corrigé, comme avec le fameux rêve autour de l’hydrogène. Il faut se réveiller : l’hydrogène, comme l’électricité, ce n’est pas une source d’énergie, c'est un vecteur d’énergie, qu’il faut produire, proprement ou salement, à partir d’une autre énergie. Or, le rendement de la chaine qui va de la production à l’utilisation est lamentable (là-dessus, JMJ a raison). Prenons un véhicule à hydrogène, qui est en réalité un véhicule électrique produisant sa propre électricité à partir de la réserve d’hydrogène embarquée et grâce à sa pile à combustible (PAC). La chaine d’alimentation part de l’électricité, qui permet de produire l’hydrogène par l’électrolyse ; elle passe ensuite par la compression de l’hydrogène et la mise en réservoir, par son transport, par la PAC, puis par le moteur. Le rendement de cette longue chaine est de 22 à 23% d’après l’ADEME . Si l’on dispose d’électricité en surabondance, ce n’est pas un problème. Mais on n’en est pas là : les énergies fossiles dont on doit se débarrasser, en les remplaçant surtout par de l’électricité, c’est tout de même 80% de l’énergie consommée aujourd'hui. La surabondance d’électricité, c’est donc encore moins pour demain que pour aujourd'hui, où nous utilisons encore tant de fossiles.
Alors, c'est vrai, la question de l’énergie est tellement complexe qu’il est difficile de voir tous les aspects. Et ce qui est dit dans ce Corrigé est déjà fort précieux. Il va pourtant bien falloir se décider à regarder la réalité en face : de gré ou de force, nous allons vers la sobriété énergétique.
Ces insuffisances ne sont pas graves, car ce corrigé comporte à la fin une proposition de Débattre. En cliquant dessus, on tombe sur une quantité impressionnante de commentaires, souvent de haut niveau et de haute tenue, que je conseille fortement : ils complètent, enrichissent et corrigent les insuffisances du texte, et montrent combien il est facile de passer à côté d'aspects fondamentaux de la question. Et les auteurs disent leur intention d’en tenir compte pour faire une deuxième version. Une riche idée.
On ne peut que se réjouir de cette amorce de débat autour du double problème, énergie et climat, qui conditionne notre avenir. Sur des questions aussi complexes, cela nous change du simplisme, des affirmations péremptoires, des œillères et des invectives. Allons plus loin, et rêvons d’un vrai débat démocratique avant les décisions cruciales pour les prochaines décennies. Cela nous changerait de la manière arrogante avec laquelle les choix nous sont imposés, dans un domaine qui est au centre du bien commun.
Après cette brève introduction, je vous invite à découvrir ce Corrigé, ainsi que le Débat.
A vos clics !
