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  • Jean Aubin

Le Monde sans fin (Jancovici et Blain)

Dernière mise à jour : 2 mars


Le monde sans fin est une grosse BD de près de 200 pages consacrée aux problèmes d’énergie et de climat. Elle est dessinée par Christophe Blain à partir de textes de Jean-Marc Jancovici. C’est un énorme succès d’édition, qui semble faire grosse impression sur ses lecteurs. Avec raison, car elle est remarquablement faite, les dessins (souvent très drôles) complétant parfaitement le texte pour rendre clair et abordable un sujet a priori complexe et ardu. Cet hommage étant formulé, je dois aussi exprimer les sérieuses réserves que m’inspire cette BD. Il faut en effet faire la part des choses entre ce qu’on peut accepter en toute confiance dans cet ouvrage (l’explication de faits scientifiques) et ce qui est à considérer avec circonspection (les opinions de l’auteur, ses préférences, ses choix de solutions pour l’avenir).

Pour qui ne connait pas, je rappelle que Jean-Marc Jancovici est un spécialiste les questions d’énergie et de climat. Un spécialiste très écouté… et très controversé. (Voir mon article Il faut écouter Jancovici… même si … )


Les deux premiers tiers de l’ouvrage sont consacrés aux explications scientifiques sur tout ce qui concerne l’énergie et le climat. Ce qu’est l’énergie. A quoi ça sert. Le fait qu’on ne peut pas au sens strict "produire" l’énergie, mais seulement l’"extraire" de sources existantes, puis la transformer en d’autres formes d’énergie. L’histoire de l’énergie utilisée par les humains, et en particulier la révolution des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) depuis en gros deux siècles. Les mutations inouïes des conditions de la vie humaine rendues possibles par ces énergies fossiles, pour le meilleur et pour le pire. Le pourquoi de leur domination massive : leurs immenses avantages. Mais aussi le problème vital de leur impact sur le climat, en raison des émissions de CO2. La nécessité donc de clore très rapidement cet épisode éphémère de l’histoire humaine, mais aussi les énormes difficultés de cette nécessaire mutation énergétique, en raison justement des avantages énormes des fossiles…

Tout cela est expliqué sous forme d’un dialogue dessiné entre Blain dans le rôle du Candide qui n’y connait rien, et Jancovici, le scientifique qui a réponse à tout. « Veni, vidi, janco, vici ». La ficelle est un peu grosse, mais ça fonctionne à merveille. Je m’y suis laissé prendre comme un bleu.


La suite, à partir de la page 126, est tournée vers les moyens de cette difficile mutation. C’est alors qu’on entre insensiblement dans un autre registre. La première partie, c’était du scientifique, objectif, apparemment indiscutable (bien que ce soit fatalement très simplifié, je n’ai noté que quelques détails inexacts ou tendancieux). En revanche, dans la deuxième partie, on parle d’avenir. Or Jancovici, comme chacun, a ses points de vue, ses préférences, ses croyances, sa vision de la société, qui se mêlent intimement aux considérations objectives pour orienter ses choix techniques. On entre donc dans le subjectif, dans le discutable. Et c'est là que le bât blesse, car il présente au contraire ses choix comme objectifs, indiscutables, à la manière des économistes néolibéraux qui répètent à la suite de Margaret Thatcher: "There is no alternative". Eh bien non ! Je ne vois pas pourquoi il faudrait faire de Jancovici un gourou détenteur de vérité divine. Les enjeux demandent non l’obéissance à un dogme, mais une réflexion. Alors, allons-y.


Pour maitriser la détérioration du climat, il y a un passage obligé : sortir rapidement des énergies fossiles, qui constituent aujourd'hui environ 80% de l’énergie consommée dans le monde. Pour atteindre cet objectif, doit-on se contenter des 20% qui restent ? Euh euh… on imagine quelques réticences face à un tel programme ! Peut-on remplacer facilement ces 80% fossiles par des énergies nettement moins carbonées ? Ou seront nous amenés à mixer les deux approches, en consommant moins d’énergie, et une énergie décarbonée ?


Les énergies décarbonées, ou plus exactement moins carbonées, sont de deux types : les énergies renouvelables (EnR) et l’énergie nucléaire. Chacune a ses avantages et ses inconvénients, qui doivent être soupesés honnêtement. Or, sur la photo prise par Jancovici, la mariée nucléaire est vraiment trop belle. Au contraire, il en fait des tonnes sur les limites des énergies renouvelables, en particulier les plus prometteuses quantitativement pour la transition énergétique, le solaire et l’éolien. Ces limites sont réelles, mais leurs avantages aussi. Et c’est là l’origine de mes réserves par rapport à cette BD, et plus généralement au travail de communication de Jancovici : le côté déséquilibré du choix entre ce qu’il dit et ce qu’il ne dit pas. Tous les avantages côté nucléaire, tous les inconvénients et toutes les limites côté renouvelables. A partir d’une argumentation aussi biaisée, il lui est alors facile d’avancer comme une évidence que le seul moyen pour sortir des fossiles et préserver le climat, tout en garantissant un minimum d’accès à l’énergie, repose sur le nucléaire. Je suppose qu’il rétorquerait que les arguments du milieu antinucléaire sont tout aussi déséquilibrés que les siens, dans l’autre sens évidemment. Mais l’angélisme des uns ne justifie pas le parti-pris des autres, surtout lorsqu'on tire son autorité d’une réputation de compétence scientifique. Alors, examinons son programme.


Nucléaire seul ? Nucléaire + renouvelables ? La réponse de Jancovici est assez… sidérante. Pages 158-159, il affirme de manière péremptoire que le nucléaire est incompatible avec les EnR «non pilotables» (solaire et éolien), pour des raisons économiques (lorsqu’il y a suffisamment de vent et de soleil, il faudrait baisser la production des centrales nucléaires, ce qui mettrait à mal leur rentabilité). Mais dans les pages suivantes, il reconnait que «le nucléaire ne pourra pas remplacer toutes les énergies fossiles». Effectivement : seulement 2% de la consommation mondiale d’énergie provient du nucléaire, face aux 80% des fossiles. Le nucléaire, c’est pour lui juste «comme un parachute ventral» permettant «d’amortir une chute trop brutale» du système énergétique. Donc, pas de complémentarité, on oublie totalement le vent et le soleil et on mise tout sur le parachute ventral nucléaire pour avoir demain un peu d’énergie ! Waouh ! Dans le Rapport RTE d’octobre 2021 sur le futur énergétique de la France en 2050, aucun scénario ne s’approche d’une telle exclusivité: même le plus nucléarisé des scénarios proposés accorde 50% de la production d’énergie aux EnR, dont 38% à l’éolien et au solaire (page 17 du rapport RTE) ). Et pour cause : le pari 100% nucléaire (+ un peu d’EnR "pilotables" : hydraulique et biomasse) est surtout 100% impossible à tenir dans les délais requis, et le simple fait de l’envisager enlève à mon sens toute crédibilité à la théorie de Jancovici. Distinguons dans cette réflexion le nucléaire existant et la relance d’un nouveau programme nucléaire.


Faut-il prolonger la vie des centrales nucléaires existantes ? Dans le monde, l’enjeu est réduit (on l’a dit : 2% de l’énergie consommée). La question est autrement plus sensible en France, pays de loin le plus nucléarisé au monde. N’ayant jamais été un chaud partisan du nucléaire, j’ai du mal à l’admettre, mais la situation actuelle de l’énergie me fait douloureusement réfléchir. Face à la réouverture de centrales à charbon, face au recours au gaz de schiste américain — un vrai désastre pour le climat et l’environnement, au moins aussi grave que le charbon — pour remplacer le gaz russe, il faut mesurer les conséquences d’une fermeture rapide des réacteurs français. Et d’ailleurs où trouver dans un tel contexte l’opinion et les décideurs pour faire ce choix ? Inversement, est-ce en toute connaissance de cause que l’opinion peut décider si elle est prête à assumer les risques du maintien en fonctionnement de réacteurs vieillissants ? Et qui le lui demande ? Les enjeux mériteraient pourtant d’être soigneusement pesés, entre la peste du dérèglement climatique et le choléra nucléaire.


La relance du nucléaire, c'est une autre affaire. Le programme français de construction de nouveaux EPR, annoncé depuis l’olympe par le Président, et le "débat" tout ficelé autour d’une décision déjà prise vont dans le sens du plaidoyer de Jancovici, sans toutefois aller aussi loin. On esquive un peu vite le risque de se tromper de combat en mettant de nouveaux œufs dans le même panier branlant. Oublions un instant les problèmes toujours non résolus du nucléaire (risques d’accidents ou d’attentats, déchets, démantèlement des vieilles centrales…), qu’il balaie d’un revers de main, et regardons l’apport possible du nucléaire à la lutte contre le dérèglement climatique :

  • Le premier problème est celui des délais. Les premiers EPR du programme seront opérationnels au mieux d’ici quinze à vingt ans, et le gros de la troupe à partir de 2050 (à supposer que les déboires de l’interminable construction de l’EPR de Flamanville ne se reproduisent pas). C’est bigrement tard dans la lutte pour le climat, lorsque chaque année compte : que fait-on d’ici là ? On pourrait avancer tellement plus vite avec du solaire et de l’éolien, pour peu que les tracasseries administratives soient ramenées en France au niveau où elles sont chez nos voisins.

  • Le second problème est celui de l’ampleur du programme français. Exclure tout recours à l’éolien et au solaire, cela signifie à terme, même en ignorant la question des délais, remplacer déjà tous les anciens réacteurs français, qui malgré leurs vertus supposées, ne seront pas éternels. A l’horizon 2050, ce n’est pas 6 EPR nouveaux qu’il nous faut, ni 14, mais 40, pour remplacer les seuls réacteurs existants. Mais il faut aussi songer aux besoins supplémentaires d’électricité pour remplacer le gaz et le pétrole. C'est considérable. Que devient alors le nombre d’EPR nécessaires? Mmm ??? Le parachute ventral pourrait se révéler n'être qu'une ombrelle de plage.

  • Le troisième est celui du coût. Là encore, l’expérience malheureuse de l'EPR de Flamanville, dont le coût prévu a été multiplié par six, doit conduire à la plus grande prudence dans l’évaluation du coût réel d’un tel programme. C'est d’ailleurs pourquoi les entreprises privées, conscientes des mauvaises surprises du nucléaire, ne se bousculent guère dans le monde pour y investir, et préfèrent laisser les états s’y brûler les doigts. Côté éolien et solaire au contraire, le coût est maîtrisé et plutôt en baisse. Lequel des deux programmes est le plus raisonnable et a le plus de chance d’être mené à bien ? Il faut mesurer l’enjeu, car l’argent public n’est pas inépuisable, et ce qui est investi dans le nucléaire ne sera pas disponible dans les autres moyens d’action contre le dérèglement climatique. On sait que le développement des EnR accuse déjà en France un gros retard par rapport aux engagements européens, un retard à relier justement au choix français du nucléaire.

  • Le quatrième est celui du déploiement géographique de la solution « tout nucléaire » préconisée. S’agit-il d’une solution franco-française, dans la grande tradition gaullienne de grandeur nationale et de participation à la force de frappe? Que pourront faire alors les autres pays du monde, qui ne bénéficient pas de notre génie propre, pour lutter contre le dérèglement climatique? S’agit-il au contraire d’une solution mondiale? L’objectif est-il vraiment de passer de 2% d’énergie nucléaire consommée dans le monde à un niveau permettant de remplacer de manière acceptable les fossiles (80%)? Une multiplication par 40 du nombre mondial de réacteurs? Que deviennent alors les problèmes de coûts et de délais, sachant que les compétences dans le domaine nucléaire sont fort peu répandues dans le monde? Et n’oublions pas la question qui tue, celle de la disponibilité de l’uranium : le minerai utilisable sur la planète suffit pour le parc actuel de 450 réacteurs, ou pour une relance française ; en revanche, l’uranium (concentré dans quelques pays, pas toujours très fiables) s’épuiserait en quelques années s’il devait alimenter 18 000 réacteurs. Si vous avez apprécié les guerres du pétrole, vous adorerez les guerres de l’uranium. Tout cela n’est pas très sérieux. Jancovici reconnait d’ailleurs (page 148) qu’il n’y en a "… pas assez pour remplacer durablement les centrales à charbon". D’où la solution magique, le surgénérateur… solution d’une complexité telle que le surgénérateur allemand de Kalkar n’a jamais été mis en service, et que même le génie français s’est cassé les dents sur son Superphénix. On reste là dans le domaine de la science-fiction. Côté délais, n’y pensons même pas...

J’ai commencé à travailler sur cet article en pensant après une première lecture donner un avis équilibré sur cette BD : un éloge très mérité sur la plus grande partie de l’ouvrage, avec cependant des réserves marquées sur les choix d’avenir présentés. Ce n’est qu’en relisant plus attentivement certains passages afin de construire sérieusement ce texte que j’ai mesuré le côté extrêmes des propositions avancées.

Il n’en reste pas moins vrai qu’il faut affronter les questions dérangeantes que pose Jancovici sur les difficultés de la sortie des fossiles et notamment sur les limites des renouvelables (questions qu’il évite de se poser sur le nucléaire), car la mutation énergétique n’est pas simple à construire, et ne peut se satisfaire d’œillères, de dogmatisme, d’angélisme, de politique de l’autruche. Ainsi :

  • Il faut prendre en compte l’"intermittence" du solaire et de l’éolien, sans cependant en faire des tonnes, car celle-ci n'est que partielle (il n'y a pas de bouton ON-OFF sur une éolienne, qui tourne en général à environ 90% du temps, à puissance variable il est vrai) ; elle est aussi largement prévisible grâce à la météo. De plus, les fluctuations de production peuvent être en grande partie compensées par la mutualisation entre différentes sources : s’il y a peu de vent ou de soleil quelque part, il y en a souvent à quelques centaines de km. Certes, cette compensation n’est pas totale, d’où la nécessité de moyens de stockage (mais pas aussi massifs que ne le suggère la BD) et aussi la nécessité d’une incitation (tarifs modulables,…) à ajuster la consommation aux fluctuations de la production. Les compteurs Linky, qui ont coûté une fortune, n'avaient-ils pas cette vocation?

  • Les besoins, pour la mise en place de tout système de production ou de stockage d’énergie, de ressources considérables en matières premières… et en énergie. Aujourd'hui, on construit les éoliennes et les panneaux photovoltaïques grâce aux énergies fossiles, et non à partir de l’énergie des éoliennes et des panneaux photovoltaïques. Un problème déjà soulevé ici.

  • D’où la question quantitative. Toutes sources confondues, l’énergie sera-t-elle disponible demain en quantité comparable avec ce que nous connaissons, ou en quantité réduite, voire très réduite ? Les données scientifiques peuvent être lues de différences manières, et conduire à des réponse très contrastées. La question est en effet éminemment sensible, subjective. Elle touche la vision du monde de chacun, ses croyances, ses émotions, ses craintes ou ses rêves… Personnellement, je crois que l’ensemble des limites terrestres nous conduit vers une réduction très importante de l’énergie disponible demain, et je rejoins Jancovici sur ce point. Je crois qu’on a tout intérêt à intégrer cela dans notre vision de l'avenir. Mais il s’agit bien de croyance, d’opinion, que je ne me permettrais jamais de présenter comme une vérité indiscutable…

C’est bien parce que je rejoins Jancovici sur de nombreux points que, malgré la volée de bois vert que je viens de lui passer, je recommande parmi toutes ses interventions disponibles la vidéo suivante : "Les ressources s’épuisent, la planète surchauffe : adieu la mondialisation !" Cette recommandation est méritée : c'est toujours très clair et cette fois, je trouve ses propos sur les EnR et le nucléaire nettement plus équilibrés que dans la BD : il explique comme toujours pourquoi les EnR ne constituent pas la solution miracle qui permettra de fournir demain autant d’énergie que les fossiles aujourd'hui, mais aussi pourquoi le nucléaire actuel est soumis au même genres de limite. Ah, bien sûr, il ne peut s’empêcher de rêver aux réacteurs de "quatrième génération" (encore largement à l'état de concept, sauf le surgénérateur au lourd passé). Après avoir annoncé avec raison une contraction générale de l’économie (façon élégante de nommer un effondrement industriel et technologique), il va avoir du mal à me convaincre de voir dans ce rêve la solution arrivant à point…



Remarque : Pour illustrer cet article, voici quelques-unes des perles de propagande qui émaillent cette BD. Seulement quelques-unes…


Page 35. « Quand il n’y a pas de vent, le système s’arrête… Si tu veux que le système de n’arrête pas, rajoute le prix du stockage… Tu multiplies alors le coût du kWh par 3, voire par 4… »

Ben non ! Car, comme dit plus tôt, l’intermittence de production n’est que partielle. Il y a besoin d’un peu de stockage mais nettement moins que prétendu ici. Les prix seront donc à multiplier peut-être par 1,2 ou 1,4. Mais il faudra surtout accepter le fait que les EnR ne suffiront pas, et le nucléaire non plus, à remplacer les fossiles actuels.


Page 42. Le graphique en milieu de page montre l’empilement successif des énergies consommées depuis 160 ans dans le monde. Au bois s’ajoute le charbon, puis le pétrole, le gaz, l’hydraulique, le nucléaire. Et tout récemment, les nouveaux renouvelables, dont l’éolien et le solaire. Et Jancovici d’ironiser : c’est tout rikiki, c’est presque rien, pourquoi s’exciter à mort dessus ?

Je "pratique" Jancovici, avec plaisir et profit, depuis très longtemps (2008 peut-être). Et pendant tout ce temps, je l’entends répéter ce refrain : les renouvelables, c’est rien, çà n’a pas d’avenir. S’il était né 150 ans plus tôt, il aurait passé sa vie, au moins entre 1860 et 1920, à répéter : peuh ! le pétrole, c'est rien, ça n’a aucun avenir…


Page 131. Consommation d’espace. Deux dessins côte à côte. A gauche, un minuscule réacteur nucléaire (flèches : 3 hectares, 1GW), à côté d’une forêt bucolique où gambadent cerfs et lapins. A droite, une immense centrale photovoltaïque (flèches : 1000 hectares, 1 MW), devant laquelle s’interrogent gravement une biche et un lapin.

Le dessin (et plus généralement l’image) permet de dire beaucoup de choses avec très peu de moyens. Et en touchant les sentiments, il peut prendre le pas sur la réflexion. On le sait. Ici, le talent de Blain fait merveille. Remettons à sa place cet outil de propagande.

A côté des 3 hectares du réacteur, on oublie un peu vite les abords, et surtout les mines d’uranium au Niger ou au Kazakhstan, les usines de traitement du minerai et d’enrichissement, les installations de traitement et de stockage temporaire des déchets à la Hague, leur stockage définitif, à Bure ou ailleurs… On oublie aussi la durée pendant laquelle toutes ces jolies installations occuperont le terrain avant démantèlement et décontamination. On fait l’impasse sur l’éventualité d’un accident majeur qui rendrait inhabitable toute une région, comme à Tchernobyl (pour le pus grand bonheur de la biodiversité il est vrai, nous y reviendrons). Bref, si on ajoute tout ça et si on le répartit au prorata sur chaque réacteur, j’imagine qu’on pulvérise hardiment le seuil des 3 hectares.

A l’opposé, les 1000 hectares du photovoltaïque, c'est un rectangle de 3 km par 3,3 km. Ce n’est pas rien, même si ce n’est pas toute la Normandie. Tout dépend où c’est placé, et ce qui se passe dessous. Le lapin et la biche n’ont pas à s’inquiéter : ils pourront sans problème se balader sous les panneaux et s’y abriter de la grêle et de la canicule. Oiseaux et chauves-souris pourront nicher. (Dans les océans, les épaves de bateau sont de même des refuges de biodiversité.) Si c'est installé sur une friche industrielle polluée ou sur les parkings de Roissy, ou en hauteur au-dessus des aiguillages des gares de triage, voire au-dessous de certaines autoroutes, les dommages seront réduits. Au-dessus des vergers de pêchers en Provence, ils protègeront de la grêle et de la canicule, sans perte agricole (agrovoltaïsme). En remplacement d’un petit morceau de monoculture de pins dans les Landes, où la pauvreté de la biodiversité est affligeante, le photovoltaïque produira 70 fois plus d’énergie que la même surface en pins. (Là, je m’aventure en territoire hautement polémique. Je manque de recul pour évaluer le rapport bénéfices/ inconvénients ). Quant au démantèlement, dans 40 ou 50 ans, est-il plus fiable dans le cas du solaire que dans celui du nucléaire ?

Cela dit, l’impact est réel : on n’est plus dans la nature vierge, à supposer que celle-ci existe encore. Les surfaces en cause restent importantes. Il faut jauger l'ensemble, avec un peu moins de simplisme qu'avec ces deux dessins.


Page 131 encore. « L’éolienne est ancrée dans le sol par un plot de béton armé affleurant, qui reste parfois en place après démantèlement. »

Objection, votre Honneur ! Le plot de béton ne restera pas en place. En effet, l’éolien jouit d’un "privilège" tout à fait spécial, celui de devoir provisionner le coût du démantèlement avant la construction de l’éolienne. Si cette obligation était une règle générale, on ne verrait pas s’éterniser dans le paysage des installations abandonnées et parfois dangereuses, depuis les porcheries industrielles à base d'amiante jusqu'aux réacteurs nucléaires comme celui de Brennilis, toujours en place des décennies après son arrêt. Le sort final de tous les réacteurs existants ou en projet me parait tout de même plus inquiétant que celui de ces plots de béton. Je le redis, ceux-ci sont destinés à disparaitre, mais même dans le cas contraire, leur nuisance resterait analogue à celle d’un rocher affleurant comme il en existe dans les terres agricoles médiocres (dans la ferme familiale où j’ai grandi, un rocher trônait ainsi dans un champ,et il fallait le contourner au moment des culture et de récoltes). Accuser la nuisance du socle de béton des éoliennes, alors qu'on prétend multiplier le nucléaire, c’est un argument cocasse. L’hôpital se moque de la charité.


Page 140. « Tchernobyl est devenu une réserve naturelle où vivent de grands animaux qui avaient quasiment disparu. Pour la vie sauvage, entre le bénéfice amené par l’évacuation des hommes et les inconvénients liés aux radiations, le résultat est sans appel ».

En lisant cela, on se prend à regretter que les centrales françaises soient si sûres, comme expliqué à partir de la page 137 (les centrales françaises ne souffrent pas le l’incompétence soviétique comme à Tchernobyl, les séismes sont nettement plus rares qu’au Japon, et de toute manière, tout est prévu). Un bon petit accident pour rendre la Loire à la vie sauvage, ce serait chou ! Car il est vrai que le parc naturel improvisé de Tchernobyl-Pripiat est formidable pour les loups, ours, lapins et autres cerfs… Toute cette biodiversité n’en a effectivement rien à faire des radiations. Un taux particulier de louveteaux à cinq pattes, de lapereaux à deux têtes, de faons cancéreux ? Qu’importe : la sélection naturelle se charge de faire le tri. Réaction d’ours, réaction humaine ? Les parents qui habitaient Pripiat n’ont peut-être pas vu de manière aussi détachée les malformations de leur bébé.

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