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  • Jean Aubin

Méthanisation et fertilité des sols

Dernière mise à jour : 9 août 2022

La soif d’énergie de la société, les intérêts financiers considérables liés à ce secteur, ce n’est pas nouveau. Et ce ne serait pas la première fois qu’en matière d’énergie, on se lance tête baissée en niant les problèmes à long terme. Le choix massif du charbon puis du pétrole au dix-neuvième siècle révèle aujourd'hui ses effets désastreux sur le climat ; sans doute ne peut-on pas parler d’imprudence à ce sujet, dans la mesure où on ne pouvait guère soupçonner ces conséquences à l’époque. Pour le choix du nucléaire en revanche, le doute n’est pas permis : on s’y est engagé massivement en sachant pertinemment qu’on n’avait pas à l’époque de solution satisfaisante aux problèmes fondamentaux tels que la gestion de déchets ou le démantèlement des centrales en fin de vie. Évitons de faire la même erreur avec le « biogaz ».

Aujourd'hui, arrêtons-nous sur l’une des solutions techniques proposées. Que penser du «biogaz» ? Il est présenté comme une énergie «verte» valorisant les déchets ; cependant, les méthaniseurs qui se multiplient dans les campagnes suscitent méfiance et opposition.

Nous ne discuterons pas ici du bien-fondé des craintes les plus fréquentes au niveau local : odeurs, émanations d’hydrogène sulfuré, noria de camions pour les alimenter… Nous ne nous attarderons pas non plus sur le fait que la méthanisation puisse entrer en concurrence avec les cultures alimentaires, lorsqu'en plus des fumiers et autres déchets, on lui consacre du blé ou du maïs. Tout cela est abondamment discuté ailleurs.


Je préfère aborder un point parfois discuté à l’intérieur du monde agricole mais pratiquement jamais dans le débat grand public, alors qu’il est crucial. Il s’agit de l’impact de la méthanisation sur la fertilité des sols. En effet, les déchets organiques placés aujourd'hui dans les méthaniseurs ne sont pas que des déchets. Ils ont depuis toujours un autre rôle, irremplaçable, celui de nourrir la vie du sol et de s’y transformer en humus. Produire massivement du méthane à partir de déchets (dont le fumier…), c'est risquer de produire moins d’humus, donc d’affamer le sol et de lui faire perdre sa fertilité. Or il faut choisir entre le beurre et l’argent du beurre : demain, on aura certes besoin d’énergie, mais on aura aussi besoin de nourrir une population mondiale en augmentation de 30% d’ici 2050, alors que les ressources se raréfient (artificialisation des terres cultivables, moins d’eau, moins d’engrais, moins de biodiversité, désertification et autres problèmes liés au climat…).


Précisons cela. La matière organique contient des éléments minéraux (azote, phosphore, potassium, calcium, magnésium, soufre, oligo-éléments…) ainsi que du carbone. Les éléments minéraux peuvent nourrir les plantes; en agriculture conventionnelle, on les apporte couramment sous forme d’engrais chimiques. Le carbone, quant à lui, ne nourrit pas directement les plantes, mais nourrit les êtres vivants du sol, champignons, bactéries, vers de terre, collemboles, etc… qui transforment ces déchets en humus. L’humus est une matière complexe dont le rôle est irremplaçable: il rend la terre poreuse, perméable à l’air et à l’eau; il retient l'eau comme une éponge et nourrit les plantes lors de sa décomposition. Une décomposition lente, mais inévitable : l’humus doit donc être renouvelé constamment par apport de nouvelle matière organique. A défaut d’apport suffisant, le taux d’humus baisse. Le sol se compacte alors et devient plus dur à travailler; l’eau de pluie pénètre mal, ruisselle et érode le sol; les réserves d’eau du sol diminuent et les cultures, qui par ailleurs s’enracinent moins bien, souffrent à la moindre sécheresse ; et le stock de nourriture que constitue l’humus s’épuisant, il faut compenser par des engrais chimiques. Cette perte de fertilité peut être masquée pendant un temps grâce aux engrais et à l’irrigation, mais reste inéluctable en cas d’apports insuffisants de matière organique. Et dans le cas de l’agriculture biologique, la perte de fertilité naturelle ne peut être compensée par les engrais chimiques.


Et la méthanisation dans tout cela ? Le méthane produit par la fermentation (en vase clos, sans air) est composé de carbone et d’hydrogène. Le carbone est prélevé sur la matière organique. En fin de processus, le résidu qui sort du méthaniseur (le «digestat») sera épandu sur le champ, mais avec quelle valeur agronomique ? Là est la question. Les éléments minéraux demeurant globalement intacts dans le processus, le digestat est un engrais capable de nourrir les cultures, un peu comme les engrais chimiques. En revanche, le digestat est appauvri en carbone : il ne pourra plus nourrir la vie du sol et produire de l’humus autant que la matière d’origine. La fertilité à long terme est alors compromise.

En tous cas, cet appauvrissement en carbone est une hypothèse à étudier sérieusement, tant les conséquences pourraient être désastreuses sur le long terme. Cette hypothèse est rejetée par les promoteurs de la méthanisation, qui mettent en avant le fait que seule la partie «labile» (la plus facile à décomposer) de la matière organique entre dans le processus de méthanisation. La partie non labile (plus stable) ressortirait intacte du méthaniseur et pourrait donc jouer son rôle de formation d’humus après épandage dans le champ. Argument séduisant, mais qui demande confirmation : la fraction transformée en méthane ne manque-t-elle pas au bilan final en humus ? Il semble assez miraculeux, et donc assez troublant, que le prélèvement de carbone pour le méthane ne donne lieu à aucun manque par ailleurs. Il est vrai que lors de la transformation en humus de la matière organique fraiche, une partie du carbone est perdue, car les êtres vivants à l’œuvre dans le processus d’humification, des bactéries aux vers de terre, respirent et rejettent dans l’atmosphère du carbone sous forme de CO2. C’est le cycle normal du carbone, qui aboutit à cet humus facteur de fertilité. Qu’en est-il lorsque ce cycle a été perturbé par le passage en méthaniseur ? Le digestat, résultat d’une fermentation sans air, est-il adapté à la vie du sol, qui au contraire a besoin d’oxygène? ou est-il toxique?


En dehors de la question de la fertilité des sols, la formation d’humus a un autre avantage, celui de capter le carbone dont l’excès dans l’atmosphère dérègle le climat. Le «puits de carbone» potentiel des terres agricoles est considérable. C’est pourquoi, si les craintes que j’exprime ici à propos d’un effet néfaste de la méthanisation sur la formation d’humus sont justifiées, cela veut dire que le bilan climatique du biogaz peut finalement se révéler négatif. Il est présenté comme positif, avec l’argument que le biogaz est une énergie renouvelable produite à partir d’une source négligée sinon, et utilisée en remplacement du gaz naturel ou du pétrole. De même, j’ai entendu présenter comme «vert» le fait d’alimenter une chaudière par de la paille en remplacement de pétrole. On oublie simplement que la réduction apparente d’émission de CO2 liée à l’utilisation d’un combustible renouvelable au lieu de combustibles fossiles se paye en réalité par une moindre fixation du carbone atmosphérique sous forme d’humus. Côté climat, on ne gagne rien ; côté fertilité, on est perdant. Comme quoi on ne peut se contenter d’enthousiasme devant une technique sans avoir étudié la chaine des conséquences. Le «vert» n’est peut-être qu’à moitié plein, et encore! Seules des études sérieuses et indépendantes peuvent permettre d’évaluer le bilan global de telles opérations.


L’indépendance de telles études est primordiale en raison des enjeux énergétiques et financiers considérables qui pourraient inciter à tordre quelque peu la réalité de manière à la présenter sous un angle qui conforte les intérêts. Cœur de métier de l’agriculture, la production de nourriture est souvent si mal rémunérée qu’il est bigrement tentant de se tourner vers la production d’énergie, beaucoup plus prometteuse financièrement. Tentant pour l’agriculteur, et tentant pour chacun des acteurs d’une filière en expansion vue comme un eldorado.

La soif d’énergie de la société, les intérêts financiers considérables liés à ce secteur, ce n’est pas nouveau. Et ce ne serait pas la première fois qu’en matière d’énergie, on se lance tête baissée en niant les problèmes à long terme. Le choix massif du charbon puis du pétrole au dix-neuvième siècle révèle aujourd'hui ses effets désastreux sur le climat; sans doute ne peut-on pas parler d’imprudence à ce sujet, dans la mesure où on ne pouvait guère soupçonner ces conséquences à l’époque. Pour le choix du nucléaire en revanche, le doute n’est pas permis: on s’y est engagé massivement en sachant pertinemment qu’on n’avait pas à l’époque de solution satisfaisante aux problèmes fondamentaux tels que la gestion de déchets ou le démantèlement des centrales en fin de vie. Évitons de faire la même erreur avec le « biogaz ».


Tout cela ne signifie pas un rejet a priori de la méthanisation. Seulement, la prudence s’impose. On doit d’abord vérifier soigneusement que le chemin n’est pas miné. Un développement intempestif de la méthanisation pourrait sinon se révéler dans quelques décennies une fausse bonne idée, aux conséquences d’autant plus désastreuses que comme dans le cas du climat, la détérioration de la fertilité des sols est lente à se révéler, mais lente aussi à corriger une fois qu’on en a pris conscience.

Face aux transitions nécessaires, toutes les idées sont bonnes à prendre… à condition d’en étudier toutes les implications, et de vérifier si les avantages des solutions proposées l’emportent clairement sur leurs inconvénients, ainsi que sur les inconvénients de ce qu’elles doivent remplacer. Car toute solution a ses bons et ses mauvais côtés. En ne regardant que les avantages, on se précipite sur des solutions magnifiques sur le papier mais qui, mal pensées, s’avèrent inefficaces, voire même pires que le mal. Comme avec les «biocarburants» qui ont suscité l’enthousiasme voici une quinzaine d’années, avant qu’on ne réalise qu’un champ qui produit du carburant pour les voitures ne produit pas de nourriture pour les hommes, et qu’il faut choisir. Inversement, à ne regardant que les inconvénients, on se condamne à ne pas évoluer et à rester sur les solutions anciennes, aussi néfastes soient elles. Ainsi avec les éoliennes, auxquelles on peut reprocher de modifier les paysages et de tuer un certain nombre d’oiseaux (mille fois moins que les chats pour l‘ensemble des éoliennes françaises, tout de même…): que signifie un refus systématique, sinon le maintien de fait dans les énergies fossiles ou nucléaire ?

Pour la méthanisation, il en est de même. J’ai mis ici l’accent sur un problème particulier; il en existe d’autres, qu’il faut prendre en compte. Mais il faut prendre aussi en compte les avantages du procédé: le fait de produire de l’énergie à partir de ressources dont certaines aujourd'hui ne sont pas valorisées, et le fait que cette énergie peut être stockée de manière à faire face aux intermittences de production d’autres EnR comme le solaire et l’éolien. Bilan entre avantages et inconvénients ? Des études sérieuses sont nécessaires pour en décider.


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