top of page
  • Jean Aubin

Racket fiscal sur l’éolien

Dernière mise à jour : 17 mars

Dans un article récent, je m’inquiétais à propos de la « loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables » votée début févier 2023, et qui pourrait bien se traduire en réalité par un freinage. Il y a pourtant bien pire dans la législation : l’article 54 de la loi de finances votée en décembre 2022 institue un véritable racket fiscal sur les revenus de l’éolien, ce qui pourrait de fait conduire à un arrêt brutal du développement de l’éolien indépendant en France. Alors qu’on ne connait que trop le retard national en termes de développement des renouvelables, la France étant le mauvais élève de la classe européenne, on appréciera l’à-propos du gouvernement. C’est en effet Bercy, donc Bruno Lemaire, qui a introduit cette mesure, de manière tellement subreptice que les parlementaires n’y ont semble-t-il vu que du feu. Ainsi que la presse apparemment.


Rappelons d’abord le contexte. La flambée des prix de l’énergie en 2022 a été l’occasion d’une réflexion sur les superprofits (SP) et leur taxation. Bruno Lemaire, ministre de l’économie, a rejeté cette notion de SP, qu’il a déclarée impossible à définir. Il a pourtant fait un gros effort de réflexion puisqu’il a finalement réussi à appliquer cette notion, non pas pour le pétrole ou le gaz, où l’on sait de source sûre que les SP n’existent pas (sinon, Total nous l’aurait dit) mais pour les seuls SP de l’électricité, et plus spécifiquement de l’éolien. Certes, en cohérence avec ses déclarations, le ministre n’a pas nommé "taxation des SP" la mesure introduite dans l’article 54, cela aurait donné des idées pour l’élargir, mais "Contribution sur la rente infra marginale de la production d’électricité" (sic !). Mais peu importe le vocabulaire : ceux qui réclamaient une telle taxation, dont je suis, devraient en principe se réjouir de cette avancée, même si elle est bien limitée. Ce n’est hélas pas le cas, pour plusieurs raisons.


Il faut pour le comprendre examiner le mécanisme de cette "contribution", que nous nommerons par son sigle "CRIME". Et ce n’est pas facile. J’ai sué sang et eau pour comprendre le texte, qui est fort complexe : une dizaine de pages denses d’anthologie de la clarté d’expression énarque (Pour les courageux, voici le lien). Difficile à comprendre, difficile à résumer….

L’article 54 « transpose en droit national la contribution sur la rente infra-marginale de la production d'électricité décidée au niveau européen… ». Explication : la disposition européenne évoquée permet aux états de prélever la part des recettes de vente d'électricité qui dépasse les 180 euros le mégawattheure (MWh), soit 18 centimes le kWh. Le gouvernement français a décidé de fortement durcir le mécanisme en abaissant ce seuil bien en-dessous de 180 euros, en prélevant au-delà de ce seuil 90% des recettes (un taux sans doute inédit en France) et (chose également assez inédite) en instaurant une rétroactivité de la mesure au 1er juillet 2022. De plus, le seuil n’est plus uniforme, mais très différent selon le mode de production électrique. Exemples : nucléaire (seuil à 90 euros), hydraulique (100 à 140), éolien (100), thermique à base de différents combustibles (gaz naturel, biogaz, biomasse, déchets, charbon… : 40 à 175)… Et tout cela avec énormément de secteurs exonérés. Le gouvernement assure que ces niveaux diversifiés reflètent « au plus près les conditions normales de rentabilité de chaque technologie de production d'électricité, en maintenant une marge raisonnable ». On peut hélas sérieusement en douter, et estimer arbitraires les différents seuils et cas d’exonérations. Pour en venir au cœur de notre affaire, regardons l’impact de ces seuils dans le cas du nucléaire (90 euros) et celui de l’éolien (100 euros).


Le nucléaire communique depuis longtemps sur son faible coût. Pour les anciennes centrales, construites dans les années 1980-90, cela correspond d’autant plus à la réalité que la collectivité prend à sa charge certains frais qui dès lors ne sont pas comptabilisée dans le coût du kWh nucléaire (recherche, sécurité, gestion à très long terme des déchets nucléaires, démantèlement à venir des centrales…). A 90 euros, la rentabilité du nucléaire existant ne semble donc pas être menacée, d’autant plus qu’une large partie des ventes d’EDF est exonérée de la CRIME. Il n’en sera sûrement pas de même de l’électricité produite par les EPR, celui qui est toujours en construction à Flamanville comme les EPR2 en projet. Mais d’ici à ce qu’ils fonctionnent, la CRIME a le temps d’être abrogée quinze fois.


Pour l’éolien en revanche, le seuil retenu de 100 euros se situe à peu près au niveau de rentabilité. Les parcs éoliens existants vont donc osciller, selon leur situation géographique et selon les années plus ou moins ventées, entre petit bénéfice et déficit. Certes, les grosses entreprises productrices d’énergie, pour lesquelles l’éolien ne constitue qu’une part marginale du chiffre d’affaires (EDF, Engie, Total,...) seront peu affectées. Leur rentabilité repose en effet sur d’autres productions, nettement plus profitables, voire "superprofitables" ; elles peuvent se permettre une rentabilité nulle ou négative sur une partie minime de leur activité, dont l’intérêt pour elles est avant tout un enjeu de verdissement d’image. En revanche, à ce niveau de tarif, de nombreux parcs éoliens indépendants risquent de se trouver durablement fragilisés. C'est vrai en particulier pour les toutes petites entreprises et coopératives pionnières dans le domaine d’une production éolienne locale et citoyenne.

Mais c’est surtout sur l’avenir du secteur que l’impact peut être considérable. Face au retard français sur les énergies renouvelables, la raison, le sens de l’Histoire, devraient aller vers un développement actif de l’éolien, secteur clé de décarbonation de l’énergie. Or, c’est le message opposé qui est envoyé : soumis aux caprices gouvernementaux, l’éolien est privé de visibilité de long terme. Ainsi, ballottés dans des contraintes qui défient toute logique, nombre de développeurs indépendants, des PME le plus souvent, risquent de jeter l’éponge. Et même s’ils s’accrochent, leur motivation, voire leur militantisme pour le climat et l’indépendance énergétique, se heurtent à la réalité économique : comment trouver les financements bancaires nécessaires à la réalisation de projets dont la rentabilité est très incertaine en raison de l’inconstance le l’état ?

Et le photovoltaïque dans tout cela ? L’article 54 n’en dit pas un mot. J’en déduis qu’il rentre dans la catégorie "autres", soumise au même seuil de 100 euros. L’impact de la CRIME sur le photovoltaïque est cependant très difficile à cerner, car les conditions de rentabilité du photovoltaïque sont très hétérogènes, selon le dimensionnement (quelques dizaines de mètres carrés sur un hangar ou plusieurs hectares au sol, cela n’a rien à voir) et selon le système de vente (contrat de vente à EDF, ou vente sur le marché).


Maintenant, il faut s’interroger sur la cohérence de cette mesure de taxation, à une époque où la transition énergétique est censée être une priorité. D’un côté, un acharnement fiscal envers un secteur clé de la transition énergétique, avec l’éventualité d’un coup d’arrêt au développement de l’éolien indépendant… De l’autre, une totale mansuétude envers les énergies fossiles, mansuétude qui se manifeste dans l’interminable liste des cas d’exonération. Ainsi, la CRIME exonère l’électricité produite par «la combustion des produits suivants : gaz de houille… gaz de pétrole et autres hydrocarbures gazeux ; houilles… coke… lignite, tourbe… ». Arghhh !


Quel est donc le but recherché par le gouvernement ? S’agit-il de faire baisser le prix de l’énergie, qui affecte durement les consommateurs et les entreprises ? Même pas ! Malgré une sévérité très inhabituelle, cette taxe ne casse pas les contrats signés entre producteurs et revendeurs d’électricité : elle ne fait pas baisser le prix de vente. En revanche, elle contribue à renflouer les caisses de l’état, qui en ont grand besoin il est vrai. Mais pourquoi cibler seulement l’électricité, et particulièrement l’électricité d’origine éolienne, qui est bas-carbone et tend à devenir moins chère que celle qui provient des fossiles et du nucléaire? Pourquoi épargner les autres énergies, notamment les fossiles (ou l’électricité issue des fossiles) ? On peut même élargir le débat. S’il faut trouver de recettes fiscales, pourquoi ménager si complaisamment l’armateur géant CMA-CGM,, qui paie à peine 2% d’impôts sur ses bénéfices records (16 milliards d’euros en 2021, 23 milliards en 2022), bénéfices engrangés en faisant exploser les coûts du transport maritime ? Pourquoi ne pas instituer une progressivité de l’impôt sur les sociétés, à l’instar de l’impôt sur le revenu ? Bon, je m’égare… Restons-en aux incohérences de la taxation de l’énergie, c'est un sujet de perplexité bien suffisant.

Faut-il pour expliquer une telle incohérence imaginer d’autres motivations, plus machiavéliques ? S’agit-il de punir, voire tuer le petit éolien indépendant, qui a l’audace de montrer que l’énergie peut être produite de manière décentralisée ? Au moment de relancer le nucléaire, l’intention est peut-être de raffermir l’idée que l’énergie doit rester l’affaire d’une poignée de multinationales et de bloquer la concurrence sur le marché de l'électricité. Après avoir dominé le secteur des énergies fossiles et celui du nucléaire, celles-ci vont monopoliser celui de l’éolien, aussi bien terrestre qu’en mer, ainsi que celui du photovoltaïque.

S’agit-il pour l’état, qui refuse de ponctionner les SP véritables, mais a désespérément besoin de se refinancer, de racketter un secteur où les petits sont sans défense, et où les gros, même s’ils en pâtissent temporairement, savent qu’ils vont au bout du chemin pouvoir s’approprier un quasi monopole sur l’éolien?

Je répugne à entrer ainsi dans le complotisme, mais il y a des raisons d’être désemparé, non?


L’éolien n’est pas un rêve d’écolos, c'est une nécessité pour demain et même pour aujourd'hui. Que faudra-t-il pour convaincre ceux qui en doutent encore ? Que les producteurs indépendants d’électricité éolienne décident un jour d’hiver de mettre leurs machines à l’arrêt ? Chiche !...

18 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page